La semaine sainte de Pâques est très importante en Haiti sauf qu’ici c’est le vendredi qui est férié et pas le lundi. Beaucoup partent en pèlerinage en Rep Dom sinon il y a la grande célébration vaudou à Souvenance, à côté de Gonaives qui débute le samedi et dure une semaine entière.
Rendez-vous était pris pour faire le voyage avec Caro, Manno et Maya qui à un an allait faire connaissance avec ses racines. Malheureusement mon vendredi matin a été occupé en amenant Caro à l’hôpital, elle aussi ayan fait connaissance avec quelques vers et autres parasites mais bien plus méchants que les miens.
J’ai finalement trouvé une solution de dernière minute avec Jude (c’est un nom masculin), une connaissance de Manno, ancien étudiant en art puis chimie et spécialiste du vaudou selon ses dires. Nous voila donc partis pour les 4 heures de route en passant par la côte des Arcadins, la seule où l’on puisse faire du 110 Km/h, si si.
Souvenance est un des 3 lakou mystiques du pays. Un lakou (la cour) est donc une cour avec un temple avec plusieurs pièces et un péristyle devant ou s’effectue les danses. Tout autour, il y a des maisons que les gens louent aux personnes venues pour l’occasion. Pour 40 €, je me suis donc retrouvée dans une chambre de 5 m² avec sol en terre à partager avec Jude bien sûr qui avait décidé de ne pas me lâcher d’une semelle. Sinon on peut aussi venir avec sa tente comme les jeunes américains qu’on qualifie de « rasè » (pingres) car ils ne veulent pas payer pour une maison.
Côté participants : des rastas, beaucoup de rasta, quelques blancs ethnologues ou sociologues, journalistes, des familles de diaspora avec des minettes qui débarquent avec leur sac Louis Vutton (un faux sûrement), les chaussures dorés et qui s’écrient « oh mon dieu je déteste la poussière ! ». J’ai même rencontré des Francs-maçons, Dan Brown si tu me lis.
Ensuite on a les tous les initiés qui débarquent pour participer aux cérémonies, avec évidemment son lot de people : un ancien ministre de la culture, une journaliste télé…tout ce petit monde est sous le commandement du serviteur, le prêtre responsable du lieu. C’est à lui que les visiteurs font des offrandes (rhum, vin, bougie) pour obtenir protection des loas du lieu et aussi l’autorisation de prendre des photos.
Enfin évidemment il y a les loas, les esprits qui sont très nombreux, trop nombreux. Citons entre autre Damballah-wedo et Aida-wedo, Erzulie freda, les Simbi, Ayizan, Ogou, Baron samedi, Baron legba… Chez les loas c’est comme les humains, il y différents groupes : Dahomey, Congo, Nago… Soukri qui a quelques kilomètres est un site Congo alors que Souvenance est Dahomey. Et la différence est de taille ! Ainsi pour résumer, je pourrais dire que Souvenance c’est comme les soirées de l’ambassadeur à Woodstock. Parce que les loas Dahomey, on leur fait pas, ils sont de sang royal et un peu BCBG : pas de tabac ni de taffia (alcool local) dans le temple et pendant les rites, les loas ne parlent pas quand ils s’invitent dans le corps d’un des initiés, pas de vévé, ces représentations géométriques. Bref, mine de rien, les protestants et autres églises associées trouveraient bien des points communs avec leur culte sans icône. Alors qu’on me décrit Soukri comme le temple de la débauche avec des bastons…
Le vendredi n’est pas très animé en lui-même si ce n’est par les raras qui défilent dans les rues et les prières en privé des initiés, au Dieu chrétien d’abord puis aux loas ensuite.
Le samedi matin, c’est préparation du site, donc je décide d’aller voir à quoi ressemble Soukri. Il nous faudra 2 heures pour y arriver grâce au sens inné de l’orientation de Jude qui vient ici depuis 1985. Soukri est en travaux, la fête n’a lieu que le 15 août là-bas mais Jude veut aller se baigner. Et là, déception, nous somme en saison sèche et il n’y a qu’un mince filet d’eau dans la rivière, Jude ne s’en remet pas et nous fait poireauter 1 heure sous un manguier en me disant « attends tu verras ». Donc veni, vidi, vici.
Retour au Lakou ou les gens commencent à arriver et où certaines femmes ont brutalement pris de mouvement incontrôlables, elles roulent jusqu’à un arbre et se coincent les pieds sous les racines apparentes (satanée érosion). Ce sont en fait des personnes souvent initiées qui n’ont pas respectés les règlements et qui sont donc attirées comme un aimant vers cet arbre pluri-centenaire qui aiment les gens mauvais. Elles devront attendre que le serviteur vienne les délivrer, ce qui peut prendre du temps s’il est entrain d’officier.
Le samedi soir donc c’est le lancement des célébrations, après avoir priés les loas dans une pièce privée, la société (c’est comme çà qu’on appelle un prêtre et sa suite) vient dans le péristyle prier les loas au son des tambours. Chaque loa a sa chanson et l’ordre dépende de l’apparition des loas au cours de la cérémonie. Comme ces loas ne parlent pas, il faut étudier attentivement les gestes des initiés pour savoir par quel loa ils sont habités. Ensuite la société va faire un tour au portail lebga avant de revenir dans le péristyle. Cela dure jusqu’à 1 ou 2h du matin avant de reprendre dès poltron minet à 5h.
Et bien quoi les mambos aussi ont le droit de faire un brin de causette entre les transes...
Pour une néophyte comme moi, c’est exactement pareil, on danse et on chante mais là, les tenues immaculées de blanc se tâchent soudain d’un rouge sang (merci Chlorox pour rattraper les vêtements). Il nous est en effet interdit de photographier certains moments (Brigitte Bardot est passée par là) mais les initiés portent à tour de rôle, les cadavres fraichement sacrifiés de cabrits et le sang coule sur leurs vêtements.
Ensuite on pose les animaux à terre et chacun de venir mettre son doigt dans le trou quia servi à tuer l’animal pour prendre du soin et le boire.
Après çà, on exécute un pas de 2 avec ses confrères.
A partir du dimanche, c’est beaucoup plus en plein air, la société visite chaque sanctuaire dont les bassins dans lesquels ils se plongent. Les jours suivant, idem sauf que les gens revêtent des habits très colorés, moins salissant que le blanc.
Au final, je n’ai pas tout vu évidemment mais j’ai découvert une ambiance très différente de ce que je pensais, une fête religieuse familiale sans rites morbides ou spectaculaires mais une expérience sociologique et musicale incroyable. Même si j’aurais plus apprécié avec plus d’explications et moins de harcèlements de la part des mambos qui vous menacent de malédiction si vous leur donner pas de l’argent. C’est un privilège de pouvoir assister à une telle cérémonie même si l’on sent de l’exaspération chez certaines mambos avec ses blancs qui les mitraillent de photos. Combien de temps Souvenance restera une cérémonie authentique et ouverte et non pas un spectacle pour touriste en mal de sensation forte ?
PS : merci au fresco man pour les glaces pilées au jus de coco, merci au MTPTC pour avoir arrosé la cour et éviter la poussière parce que oui il y é énormément de poussière.
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