samedi 24 juillet 2010

Zombi


Haïti n’est pas connu uniquement pour son histoire chaotique, ses présidents ambigus, sa gloire d’avoir été la première république noire indépendante…Elle est aussi connue pour ses zombis. En effet, peu de gens le savent mais le phénomène de zombification, cher aux réalisateurs de SF et de films d’horreurs voire gore, est né ici et sachez le, il n’est pas un élément du passé : les zombis sont partout autour de nous.

Les zombis Clairvius Narcisse et Natagette Joseph, pour ne citer que ces deux, sont assez célèbres dans le monde par le nombre d'articles et de documents que les chercheurs ont écrit sur eux.

Dans l’imaginaire populaire, un zombi est donc un mort-vivant, devenu esclave de celui qui l’a réveillé pour une période plus ou moins déterminée.

De façon plus pragmatique (si si, on peut l’être sur le sujet), un zombi n’est pas vraiment mort. Il s’agit d’une personne empoisonnée qui voit son métabolisme ralentir à tel point que son entourage le croit mort (mais il ne l’est pas, vous suivez, c’est un peu comme les marmottes qui hibernent). On l’enterre comme il se doit (il faudra que je vous parle un jour des enterrements) et à la nuit tombée, le maître zombi vient déterrer la personne et lui donne un antidote. Le but évidemment n’est pas de faire la personne redevenir comme avant (sinon çà sert pas à grand-chose…). D’où le zombi : quelqu’un qui respire, mange, travaille, peut parler (mais pas toujours) mais pour le reste, rien. Un peu comme quelqu’un sur pilote automatique. Les zombis sont alors emmenés sur des exploitations agricoles ou dans les maisons pour travailler au service de la personne qui l’a empoisonné et réveillé. Ce service dure jusqu’à la mort du maître mais le zombi peut aussi se libérer ou être libéré quand le travail est fini, plusieurs années après sa prétendue mort.




Il est évidemment très tentant dans ce pays de faire un parallèle avec l’esclavage. Un peu comme si les zombis étaient venus remplacer les esclaves lorsque ceux-ci ont obtenus le statut d’homme libre. L’homme aurait-il donc toujours besoin d’un inférieur pour faire les tâches ingrates, même celui qui a tant souffert du labeur intense et des privations de liberté ?

Petit point pratique en passant : les zombies mangent sans sel, sinon çà les réveille.

Pour vous prouver que ce ne sont pas des superstitions, je vais vous raconter mon histoire de zombi. Je travaille avec les CASEC, ce sont des élus pour les sections communales. Un des CASEC qui vit tout en haut dans les montagnes est brutalement décédé dans la fleur de l’âge et de manière assez suspecte. Comme sa femme a suspecté un règlement de compte et un empoisonnement ou un sort, elle a fait enterré son mari avec son téléphone portable. Le premier résultat est que tous ceux qui ont appelé ce numéro ont été frappé d’un mal étrange. La veuve cherchait en fait à se venger des assassins. L’histoire aurait pû s’arrêter là. Mais quel ne fut pas la surprise de la veuve de recevoir un jour un coup de fil de son prétendu mort de mari. Il lui a dit qu’il était pour le moment esclave, ie zombi, dans une rizière dans le centre du pays mais que dès que les travaux seraient terminés.

Le statut du zombi semble donc évoluer avec le temps et les technologies puisqu’ils ont accès au téléphone.

En attendant, moi je suis bien embêté pour faire mon travail, j’espère pouvoir le rencontrer à son retour.

Les zombis intriguent tellement qu’un juriste a publié un article sur la question du statut juridique des zombis et le vide pénal en la matière (tu m’étonnes !). Je cite une de ses brillantes conclusions : « Le revenant enfin de compte n'a aucun statut juridique. Sa situation est inférieure à celle des bêtes et des objets. » Mais que fait Zombi International ?

Et comme il le fait remarquer : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ». La présence délibérée du verbe « demeurer » n’est pas innocente. Oui mes amis les zombis, vous avez droit à la même reconnaissance que les vivants !


dimanche 18 juillet 2010

Elections

Après avoir fait voté une prolongation possible de son mandat pour 3 mois de plus (au cas où), le président Préval a annoncé récemment que les élections se tiendront le 28 novembre prochain. Il s'agit d'élire 1/3 des sénateurs, les députés et le président.
Une annonce qui a été accueillie avec beaucoup de réticences, l'opposition dénonce le délai trop court de campagne et surtout critiquent le CEP, l'institution qui reçoit les candidatures, les étudient et les valident, éditent le calendrier. On reproche au CEP d'être trop proche du Président, des histoires des corruptions ont été reportés. mais bon en la matière, l'affaire Bettencourt en France, nous ne pouvons pas vraiment donner des leçons.
Nous voila donc en campagne électorale, si les candidatures pour les sénateurs et députés sont connues; en ce qui concerne les aspirants présidents et bien...Rien, nada. Officiellement, aucun candidat n'est déclaré et Préval ne peut pas se représenter. Les gens ne semblent pas vraiment s'en inquiéter, les candidats ont l'habitude de se déclarer quelques minutes avant la clôture des réceptions de dossiers.
Ou peut être qu'ils ne se préoccupent pas des candidats car ils savent qu'aucun ne pourra leur apporter ce dont ils ont besoin...
Enfin, il reste toujours l'outsider Wyclef!

Update:
Ce 20 juillet, 3 candidats sont déclarés officiellement: Myrlande Manigat, Charles Henry Baker et le maire de Delmas, Wilson Jeudi.

jeudi 15 juillet 2010

la beauté est-elle universelle?

Cela aurait pu être un sujet de philo mais s'inspire d'une de mes conversations avec un de nos chauffeurs.
"Est-ce que toutes les femmes sont belles en France?
- comme dans n'importe quel pays, il y a des gens beaux et de gens moins beaux; mais cela dépend de chaque personne
- non mais est-ce que les femmes sont toutes aussi belles que toi? (Euh non je ne cherche pas à m'envoyer des fleurs...)
- bien plus belles!
-non c'est pas vrai???
- mais qu'est ce que tu appelles une belle femme?
- on ne peut pas le décrire une femme quand on la regarde elle est belle ou pas point, c'est universel. Cela ne veut pas dire que je l'aime mais je sais en regardant une femme si elle est belle ou pas. Et toi qu'est ce que tu en penses?
- je pense que la beauté est personnelle; chacun à ses critères.
-moi je ne pense pas. Tu vois j'ai voyagé. Je suis allée en Dominicanie, en Jamaïque, à Cuba, au Panama...Bon en Jamaïque, les femmes pourraient être belles mais tout le monde porte des locks (bouh!!! pas bien). A Cuba, il y a un peu de tout, des noires, des rouges* mais au Panama, là les femmes sont vraiment belles, tu vois. Elles ne sont même pas rouges, elles sont blanches.
-donc tu ne penses pas que les haïtiennes soient belles?
-non (et bien ta femme doit être super contente!)"

ah ah voici donc le secret de la beauté: la blancheur. Comme lorsque toutes les femmes du village au Laos venaient me toucher et regarder ma peau si blanche avec envie. Au Laos comme en Haïti, les femmes recherchent à être blanche comme Erzulie Freda ou les belles mulâtresses de la haute société haïtienne. Elles sont prêtes à se tartiner de n'importe quelle crème donc beaucoup sont dangereuses.

Si beaucoup des pays africains,sud-américains, caribéens ou asiatiques se sont libérés économiquement et politiquement (enfin plus ou moins) des puissances occidentales, la dépendance psychologique et sociale semble bien ancrer même dans la première république noire du Monde...

*: on appelle rouge des personnes métisses, un peu caramel quoi. La société haïtienne est donc hiérarchisée comme suit: les blancs puis les rouges puis les noirs.

La différence

Ce n'est pas que je sois particulièrement fan de Lara Fabian mais peut-être faut-il y avoir l'influence des radios haïtiennes.
Vous aurez donc compris que le sujet du jour sera l'homosexualité en Haïti. En créole, on les apellent des "masisi". Dans une société assez machiste, les masisi ne sont pas particulièrement bien intégrés dans la société. On se moque d'eux, en leur disant qu'ils ne sont pas vraiment des garçons. J'en ai eu la preuve sur un chantier dans le Plateau où le masisi en question avait été affecté à l'équipe de femmes sans qu'on lui laisse la possibilité de faire un travail de "mec". Et moi je suis au milieu, je représente une organisation qui prône entre autres l'approche genre, ou comment rééquilibrer la participation des hommes et des femmes dans les projets de développement. Et là je me demande: est-ce que la réhabilitation des masisi ne participe pas non plus de l'approche genre? Ne devrait-on pas aborder la question des les formations et sensibilisation?
Certains masisi sont très efféminés en mettant des robes, en se maquillant...Tous ne forcent pas le trait comme çà mais j'en quand même remarqué que beaucoup le font. Du coup, la frontière entre homosexualité et transgenre est très floue. On pourrait même parler d'altersexualité.
Anne Lescot, une anthropologue haïtiano-française (ou vice-versa comme vous préférez), a réalisé un documentaire sur le lien entre homosexualité et vodou. Le vodou offre un espace de liberté à ces personnes brimées et raillées. Vous pouvez en voir quelques images sur dailymotion. Cela s'appelle des Hommes et des Dieux.

lundi 5 juillet 2010

Haïti 1 : 0 Monsanto

Vous aurez bien entendu compris qu'il ne s'agit pas d'un score de la Coupe du Monde de football mais l'ambiance est tellement footbalistique (quoi que... avec la défaite du Brésil et l'Argentine, le pays soit assez en berne) que cela a inspiré le titre de cet article.
Tout a commencé il y a plus d'un mois, quand dans le contexte de soutien à la production agricole après le séisme, Monsanto a communiqué avoir fait un don de semence de maïs. Et là branle-bas de combat, quoi des OGM en Haïti? L'univers altermondialiste et cybernétique s'affole. Le ministère de l'agriculture a répondu officiellement qu'il ne s'agissait pas d'OGM puisqu'Haïti n'a pas de législation en la matière mais le problème reste entier.
Il ne s'agit donc pas d'OGM mais d'hybrides, une norme dans les pays développés. Il s'agit en fait de semences avec un meilleur potentiel productif mais dont les semences ne sont pas réutilisables. 1er couac: il faudra que les paysans haïtiens rachètent chaque année leurs semences, ce qui 1) n'est pas dans leurs habitudes; et 2) cela coûte assez cher.
2ème couac: ce type de semence permet d'augmenter la production effectivement mais si et seulement si elle bénéficie d'un paquet technique = engrais, pesticides, herbicides. Or Haïti est pour le moment assez peu consommatrice de ces produits.

d'où le don philanthropique (dixit le porte-parole de la firme) n'en n'est pas vraiment un car il rendra les Haïtiens dépendant de cette firme et des autres firmes agro-chimiques. On sait les dégâts sociaux que cela cause en Inde ou des milliers de producteurs de coton se suicide chaque année, accablé par le poids des dettes contractées pour acheter semences et produits.
Monsanto ne chercherait-il pas un nouveau débouché face aux critiques qui se multiplie à travers le monde?
Et que dire des précautions sanitaires à prendre pour manipuler ces produits et qui sont inconnus des paysans Haïtiens.

Il existe heureusement en Haïti des organisation rurales/de paysans très informées et qui bénéficient du réseau de la Via Campesina. On parle beaucoup du MPP (mouvement paysan papaye) et de son leader charismatique Chavannes mais il existe bien d'autre à travers le pays (KROSE, Tet kole ti peyizan...). Ces organisations ont donc organisé une marche le jour de la fête de l'environnement. Plus de 10,000 personnes, essentiellement des paysans ont répondu à l'appel et ont créé un évènement médiatique, bien loin des turpitudes de la reconstruction de la capitale.


Le combat n'est évidemment pas terminé et chacun poursuit son plaidoyer et sa lutte contre Monsanto, ces semences et le type d'agriculture qu'elles véhiculent. Le Monde, Libé en parle... Chavannes a même rencontré le responsable de l'USAID, l'agence de coopération américaine qui finance le projet à travers lequel les semences sont distribuées. Le petit poucet contre le l'ogre. Une partie des semences est en effet déjà dans le pays, pourra-t-on bloquer les autres?

Que retenir de cette leçon?
Que des petits paysans d'un pays en développement ont réussi à faire un gros raout et menacer une grande firme contre laquelle les mêmes agriculteurs en France se battent avec plus ou moins de succès!

Si vous voulez en savoir plus, écoutez l'émission "c'est pas du vent" du 23 juin sur RFI.