dimanche 6 février 2011

Martyr

Je ne résiste pas à partager quelques phrases de la réaction de Jude Célestin à son éviction. Comme d'habitude, il est resté muet mais a pondu un texte de 6 pages, très mégalomaniaque:

Malheureusement nous ne sommes pas sorti tout à fait indemne de la traversée tumultueuse, car nous porterons encore longtemps les atteintes faites à notre bonne foi et à notre prestige. Et même si les blessures se ferment, les cicatrices demeurent et rien que d’y toucher réveillera la douleur, pour maintenir le souvenir des drames, des tractations souterraines et des trahisons qui ont marqué cette période électorale.
En tout cas, je m’adresse à vous du haut de ma verticalité inviolée, drapé dans mon honneur et dans la carapace de mes principes et de mes convictions profondes et inentamées.
J’ai abordé la campagne, porteur d’une vision grandiose, neuve et fraiche pour la République nouvelle que notre génération a pour devoir de construire, une vision définie dans dix grandes orientations de mon programme de gouvernement. Et si j’ai prôné la continuité, en ciblant - en revendiquant –le patrimoine des cycles du passé, c’est parce que, en tant qu’ex-directeur général du CNE ou Centre National des Équipements, je ne pouvais faire l’impasse sur mon propre bilan, concrétisé sous la forme des 2000 kilomètres de routes que nous avons construites ou réhabilitées et par l’action prompte et salvatrice de cet organisme dans les lendemains douloureux et endeuillés du séisme du 12 janvier 2010.
j’ai mené une campagne expansive et exubérante, allègre et colorée, irradiée du sourire et de la dévotion de mes partisans, une campagne à ce point impressionnante par la ferveur et le nombre, que nombre de représentations étrangères, étonnées ou subjuguées, ont fait chercher auprès de plusieurs stations de l’audio-visuel les cassettes authentifiées de nos rassemblements monstres et à nul autre pareils. Nous avons surtout mené une campagne saine : jamais nous n’avons attaqué nos rivaux, assuré que nos concurrents de ce jour deviendront indubitablement nos collaborateurs ou associés de demain dans la nécessaire et solidaire kombite du relèvement national.
Dès lors, les officines souterraines et les forums se sont mis au travail de sape pour crucifier Jésus-Christ (J.C.) et glorifier Barabas. Puisque, à partir de midi il ne restait à voter que nos partisans fidèles, nos adversaires déboutés n’eurent d’autre alternative que de réclamer l’annulation. Mais bientôt les deux grands ténors de l’annulation ont ravalé leur morgue sous la promesse de quelque potentat d’ici et/ou d’ailleurs que tout allait être fait pour les maintenir dans la course, au prix de la diabolisation et de la mise à mort politique du gagnant. Et la machine se mit en marche pour broyer la vérité des urnes, en rejetant tous les procès-verbaux où JC comptait plus de 300 voix puisque nos concurrents pas assez populaires - ou absents - ne dépassaient pas le cap des 150. Ainsi mit-on de côté– en quarantaine - environ 3000 procès-verbaux dont 90% étaient à notre avantage ; ne pouvant malgré tout nous sortir, 1045 PV gagnants de JC disparaissent comme par enchantement dans le centre de fabulation. Injustice, iniquité, hypocrisie, imposture, il n’y a pas de mot dans le vocabulaire de l’immoralité pour qualifier une telle attitude.
Et notre poursuivant immédiat, qui n’avait jamais dépassé les 14 % dans leurs sondages, prit prétexte de sa brusque remontée – artificielle ou réelle – pour forcer le destin, en cela encouragé par certaines délégations ou liaisons particulières, et jeta dans les rues de Port au Prince et de Pétion-Ville-Delmas des hordes agressives qui saccagèrent tout sur leur passage, durant trois journées dont le fait dominant est l’absence remarquée – et certainement délibérée – des chars, des soldats et policiers de la MINUSTAH.
Nous voilà ainsi revenu au temps des baïonnettes ; nous croyions honnêtement en avoir fini avec ce passé, mais ce passé n’en avait pas fini avec nous ; il ressurgit dans toute sa splendeur macabre sous la dictée ou dans la complicité à peine discrète de nos tuteurs, de nos pédagogues de la stabilisation démocratique. Ainsi l’haïtien a renoué avec cette pratique de vouloir prendre le pouvoir par les armes et la violence.
Peuple haïtien,
Même face à des résultats aussi tronqués, j’assume ma nature profonde, empreinte de civilité, trempée au respect de l’autre et au creuset de la courtoisie et de la magnanimité. Elle m’incline à présenter des félicitations aux vainqueurs de ces joutes et même à ceux qui ont bénéficié de la faveur des consuls. De quelles allégeances et concessions inavouées n’a-t-on pas payé cette sollicitude galopante, entêtée et dévastatrice ! Ne faut-il pas s’attendre à boire jusqu’à la lie la coupe empoisonnée des injonctions et des humiliations !
Je plains certains de mes coreligionnaires de la plateforme INITE qui, comme les fils du patriarche Jacob, ont vendu leur frère Joseph, sans l’intuition que ce dernier pouvait –- allait– devenir ministre du pharaon d’Egypte. Dans leur hâte de me livrer afin d’apaiser les impatiences des orfèvres probablement détenteurs de quelque pièce de leur coffret à bijoux, ils ne se sont pas donné le temps de relire la loi électorale qui ne reconnaît pas à un parti le droit de « désister » son candidat, ni à celui-ci d’outrepasser le délai prescrit (article 104).
Je sais que vous souffrez de ces résultats, synonymes en quelque sorte de prime à la violence. Ne vous abimez pas dans la mélancolie du vaincu ou du sacrifié : vous êtes de la race des conquérants. Notre triomphe viendra tard, mais il viendra quand même. Regardez vers le soleil, le front haut, l’âme altière et préparez-vous pour les batailles futures où la victime sera réhabilitée et le juste glorifié. Courage, fils et filles de Dessalines : la nuit la plus noire annonce l’aurore radieuse.
Un militant ne perd jamais la guerre ; il perd des batailles, mais s’il garde ses convictions, elles en sortent enrichies et renforcées.