vendredi 22 octobre 2010

Am, stram, gram, pic et pic et choléra

Update du 29 octobre : 33O morts et 4649 malades

J'ai piqué ce titre à Nelly, qui présente une émission sur la télévision nationale.
Cet article est la première mouture d'un article que je vais soumettre au journal interne de PROTOS. Vous en avez la primeur et je réactualiserai les données le plus possible.

Evidemment, on prend rarement la plume (ou le clavier) ou la parole pour dire que tout va bien. Pourtant, j’aurais voulu écrire pour faire part de signes d’espoir, 9 mois après le séisme mais une fois de plus, ce n’est pas le cas.

Les faits

Une épidémie de choléra a frappé le Bas Artibonite et le Bas Plateau Central (voir carte) vers le 18 octobre. En 4 jours on a recensé 138 morts et plus de 1500 malades. Dès le 22 octobre, des cas dans l’Arcahaie étaient recensés puis ce furent Hinche, Port-au-Prince et Limbé qui furent touchés. Au 27 octobre, le bilan officiel est de 292 morts et 4147 malades.

On avait longtemps craint une épidémie dans l’aire métropolitaine après le séisme du 12 janvier alors que les conditions de vie des rescapés étaient précaires et que les autorités avaient du trouver une solution à la gestion des centaines de milliers de corps.

C’est pourtant en zone rurale que l’épidémie a frappé, comme un rappel à tous que les efforts louables développés dans la zone d’impact direct du séisme ne doivent pas occulter la réalité de la vie des Haïtiens en zones rurales, les Haïtiens du « pays en dehors ».

La maladie

L’évocation de cette maladie évoque pour la plupart des habitants des pays développés, une maladie moyenâgeuse, pourtant l’OMS recense chaque année 3 à 5 M de cas et 120000 décès. Le choléra est une infection diarrhéique aiguë provoquée par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés par le bacille Vibrio cholerae. 80% des cas sont traitables avec des sels de réhydratation orale mais les cas les plus sérieux nécessitent des perfusions (photo david darg).

En général, environ 75% des sujets infectés ne manifestent aucun symptôme, bien que le bacille soit présent dans leurs selles pendant 7 à 14 jours après l’infection et soit éliminé dans l’environnement, où il peut potentiellement infecter d’autres personnes. Mais la forme présente dans cette zone d’Haïti semble très virulente : très courte durée d’incubation (quelques heures), diarrhée et vomissements intenses (mais sans douleur abdominale) qui provoquent la mort en quelques heures. Le ministre de la santé, Alex Larsen a confirmé le 22 octobre qu’il s’agissait d’une souche de type « O1, le type le plus dangereux ». Le dernier cas de choléra en Haïti remonte au siècle dernier.



La situation dans les hôpitaux

La faiblesse générale des individus en lien avec la malnutrition, ou des personnes infectés par le VIH crée un terrain favorable au développement rapide de telles épidémies. Se pose aussi le problème de l’accès aux services de santé, limité en zone rurale. L’hôpital de Saint Marc est débordé et les patients sont traités à même le sol (photo le nouvelliste). Les centres de santé doivent être ravitaillés rapidement en solution saline pour la réhydratation et doivent gérer les corps des décédés. A l’hôpital de Saint Marc les corps sont mis dans des sachets, désinfectés mais dans d’autres communes comme Grande Saline, les corps des victimes sont privés de sépulture individuelle et mis dans une fosse commune. Une douleur de plus pour les familles dans un pays où les croyances liées l’enterrement sont importantes. Dans des régions plus reculées, les crues des cours d’eau limite les déplacements et empêchent certaines personnes d’atteindre les quelques centres de santé existants. La course à l’eau potable, des moyens de traiter l’eau ou au sérum de réhydratation a commencé ; elle a même été instrumentalisée par les politiques candidats à la présidence ou aux législatives (sénateur ou député). Ironie du sort, ce même 22 octobre, des stations de traitement d’eau devaient être inaugurée à Bocozelle (une section de Saint Marc).


Quelle source de contamination ?

A l’heure où paraissent ces quelques lignes, la source de contamination a été identifiée au niveau du fleuve Artibonite. L’hypothèse soulevée et sur laquelle travaille le gouvernement reste la contamination d’un affluent du fleuve par vidange de latrines d’une base MINUSTAH. Si tel est le cas, cela ne remonterait pas l’estime des Haïtiens en ce qui concerne la présence des Nations Unies dans le pays. La MINUSTAH a évidemment démenti toute implication.

L’état environnemental, et les conditions d’hygiène et d’assainissement des habitats auraient permis à une telle épidémie de se propager. La faible couverture et le mauvais fonctionnement des réseaux d’eau potable en milieu rural contraignent encore la majorité des personnes à boire l’eau des rivières et de sources. Aussi, selon plus d’un, l’eau de rivière aurait « ce petit goût en plus », …On compte aussi très peu d’infrastructures d’assainissement et la population reste peu informée des comportements préventifs pour éviter la propagation de ces maladies.


Quelle évolution ?

Après les décès par dizaine les premiers jours, la progression de l’épidémie semble avoir marqué un pas et le gouvernement a proclamé que l’épidémie était contenu. Cependant, au même moment, les ONG et Nations Unies, se veulent encore alarmistes en disant craindre une propagation massive, opinion plus largement relayée par les médias que la position encourageante du gouvernement Haïtien. Cette crainte est entre autre basée sur le fait que dans les localités assez reculées et peu touchées par les distributions de traitement de l’eau, les populations continuent de boire l’eau de l’Artibonite. Comme rappelé plus haut, 75% des personnes ne présentent pas de symptômes mais peuvent contaminer l’environnement et assurer la propagation du bacille par leur excréta, et ce, jusqu’à deux semaines après leur contamination. Ainsi il est fort probable que le choléra reste présent dans le pays pendant encore plusieurs années. Cette situation implique un changement des habitudes et de la politique d’accès à l’eau selon certains médecins.

Si le nombre de décès journaliers diminue, on ne peut dire que l’épidémie est contenue dans le sens où elle progresse géographiquement. Cette progression (voir carte) est liée aux mouvements des personnes mais les cas de morts sont ceux de personnes qui ont contracté le choléra dans l’Artibonite. Ainsi, on n’assiste pas, pour l’instant, à la création de nouveaux foyers de contamination. La zone métropolitaine est particulièrement sous surveillance car la propagation au sein des camps de sans-abris pourrait être catastrophique comme cela avait été le cas au Rwanda en 1994 avec la mort de 23,800 personnes.

Craignant une propagation, la République Dominicaine a décidé de contrôler la frontière et d’interdire l’entrée sur son territoire à toute personne sans passeport ; une mesure jugée non nécessaire pourtant par l’OMS. Ceci paralyse tout le commerce, une activité économique importante pour les villes de part et d’autre de la frontière (les marchandes des deux pays sont autorisées certains jours à se rendre d’un côté et l’autre sans contrôle d’identité). Des incidents avaient d’ailleurs eu lieu à Ouanaminthe, menant les soldats de la MINUSTAH à disperser la foule avec du gaz lacrymogène. Deux jours après, les voisins ont accepté la réouverture mais les marchés binationaux devront respecter les mesures d’hygiène et de contrôle mises en place par le Ministère de la Santé Dominicain.

La psychose s’installe et la population a attaqué le personnel de MSF à Saint Marc protestant contre l’installation d’un centre de traitement de 400 lits craignant que la zone toute entière soit contaminée.

Les réponses

La présence d’ONG médicales sur Port-au-Prince a permis une réponse rapide avec l’installation de centre de traitement du choléra à Saint Marc ou à Port au Prince

Le président Préval a indiqué que la Direction Nationale de l'Eau Potable et de l'Assainissement (DINEPA) devra lancer un programme de purification des eaux dans la région. La DINEPA est responsable de la distribution d’Aquatabs ©, HTH, sérum de réhydratation et savon par l’intermédiaire des OREPA existants, mairies, CASEC (sortes de maires ruraux) et ONG ; même si l’on note encore des accrocs à la coordination.

PROTOS travaille avec le CPH à Belladère (voir carte) qui se situe aussi dans la grande zone du Bas Plateau. Pour l’instant, aucun cas n’y a été recensé mais la prévention reste de mise. Les activités de construction d’un réseau d’eau potable, sensibilisation et responsabilisation des populations à améliorer leurs conditions d’hygiène et d’assainissement, demeurent d’autant plus cruciales pour éviter de tels cas. Les organisations de base avec lesquelles PROTOS travaille, le CUSIC (association d’irrigants) et l’UDECOBEL (organisation communautaire) travaillent à la sensibilisation de la population. PROTOS a par ailleurs effectué une demande de réquisition d’Aquatabs ©, HTH, sérum de réhydratation et savon auprès de la DINEPA pour les distribuer sur Croix de Fer et Belladère en collaboration avec la mairie et la direction départementale de l’agriculture. Belladère étant considéré comme zone de prévention et pas comme zone prioritaire, seul le savon est mis à notre disposition jusqu’à présent. Ce 28 octobre, nous avons délivré 8,000 barres de savon (1 barre/personne/semaine) au dispensaire de Croix de Fer et à la DDA de Belladère (possiilité de stockage). La mairie et les organisations de base sont chargées de la distribution aux personnes.

Par l’intermédiaire des médias locaux, les personnes sont informées sur la fabrication d’un sérum de réhydratation à l’aide d’eau traitée, de sucre et de sels.

Les USA, le Canada, l’Espagne, la Belgique et la France ont entre autre envoyé des missions médicales, du matériel de traitement de l’eau ou de réhydratation ainsi que des dons monétaires.

De manière plus humoristique, on a même entendu sur les radios que les Haïtiens étant en général très chaleureux, il fallait arrêter de se faire la bise à tout bout de champ !

Il est difficile de faire la part des choses entre désinformation et réalité, mais cette situation n’est pas la conséquence directe du séisme comme certains médias français ont pu l’annoncer. Il est intéressant de noter au passage qu’aucun média international ne parle de la piste étrangère comme source du problème, ce qui est pourtant vraisemblable vu l’absence du choléra depuis un siècle. Les autorités haïtiennes, ont-ils vraiment tort quand ils se posent des questions sur la gestion des excréta des camps MINUSTAH partout dans le pays ?

Pour conclure, nous pourrions vous dire que nous n’avions définitivement pas besoin de cela alors que les cyclones avaient épargnés le pays (la saison a été pourtant exceptionnellement forte) jusqu’à présent. Mais là, je crois que même le concept de résilience des Haïtiens tant de fois loué depuis des décennies et surtout après le séisme, n’a plus vraiment de sens…






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