la grande vadrouille
Blog sur ma vie et mon boulot en Haiti
dimanche 6 février 2011
Martyr
Malheureusement nous ne sommes pas sorti tout à fait indemne de la traversée tumultueuse, car nous porterons encore longtemps les atteintes faites à notre bonne foi et à notre prestige. Et même si les blessures se ferment, les cicatrices demeurent et rien que d’y toucher réveillera la douleur, pour maintenir le souvenir des drames, des tractations souterraines et des trahisons qui ont marqué cette période électorale.
En tout cas, je m’adresse à vous du haut de ma verticalité inviolée, drapé dans mon honneur et dans la carapace de mes principes et de mes convictions profondes et inentamées.
J’ai abordé la campagne, porteur d’une vision grandiose, neuve et fraiche pour la République nouvelle que notre génération a pour devoir de construire, une vision définie dans dix grandes orientations de mon programme de gouvernement. Et si j’ai prôné la continuité, en ciblant - en revendiquant –le patrimoine des cycles du passé, c’est parce que, en tant qu’ex-directeur général du CNE ou Centre National des Équipements, je ne pouvais faire l’impasse sur mon propre bilan, concrétisé sous la forme des 2000 kilomètres de routes que nous avons construites ou réhabilitées et par l’action prompte et salvatrice de cet organisme dans les lendemains douloureux et endeuillés du séisme du 12 janvier 2010.
j’ai mené une campagne expansive et exubérante, allègre et colorée, irradiée du sourire et de la dévotion de mes partisans, une campagne à ce point impressionnante par la ferveur et le nombre, que nombre de représentations étrangères, étonnées ou subjuguées, ont fait chercher auprès de plusieurs stations de l’audio-visuel les cassettes authentifiées de nos rassemblements monstres et à nul autre pareils. Nous avons surtout mené une campagne saine : jamais nous n’avons attaqué nos rivaux, assuré que nos concurrents de ce jour deviendront indubitablement nos collaborateurs ou associés de demain dans la nécessaire et solidaire kombite du relèvement national.
Dès lors, les officines souterraines et les forums se sont mis au travail de sape pour crucifier Jésus-Christ (J.C.) et glorifier Barabas. Puisque, à partir de midi il ne restait à voter que nos partisans fidèles, nos adversaires déboutés n’eurent d’autre alternative que de réclamer l’annulation. Mais bientôt les deux grands ténors de l’annulation ont ravalé leur morgue sous la promesse de quelque potentat d’ici et/ou d’ailleurs que tout allait être fait pour les maintenir dans la course, au prix de la diabolisation et de la mise à mort politique du gagnant. Et la machine se mit en marche pour broyer la vérité des urnes, en rejetant tous les procès-verbaux où JC comptait plus de 300 voix puisque nos concurrents pas assez populaires - ou absents - ne dépassaient pas le cap des 150. Ainsi mit-on de côté– en quarantaine - environ 3000 procès-verbaux dont 90% étaient à notre avantage ; ne pouvant malgré tout nous sortir, 1045 PV gagnants de JC disparaissent comme par enchantement dans le centre de fabulation. Injustice, iniquité, hypocrisie, imposture, il n’y a pas de mot dans le vocabulaire de l’immoralité pour qualifier une telle attitude.
Et notre poursuivant immédiat, qui n’avait jamais dépassé les 14 % dans leurs sondages, prit prétexte de sa brusque remontée – artificielle ou réelle – pour forcer le destin, en cela encouragé par certaines délégations ou liaisons particulières, et jeta dans les rues de Port au Prince et de Pétion-Ville-Delmas des hordes agressives qui saccagèrent tout sur leur passage, durant trois journées dont le fait dominant est l’absence remarquée – et certainement délibérée – des chars, des soldats et policiers de la MINUSTAH.
Nous voilà ainsi revenu au temps des baïonnettes ; nous croyions honnêtement en avoir fini avec ce passé, mais ce passé n’en avait pas fini avec nous ; il ressurgit dans toute sa splendeur macabre sous la dictée ou dans la complicité à peine discrète de nos tuteurs, de nos pédagogues de la stabilisation démocratique. Ainsi l’haïtien a renoué avec cette pratique de vouloir prendre le pouvoir par les armes et la violence.
Peuple haïtien,
Même face à des résultats aussi tronqués, j’assume ma nature profonde, empreinte de civilité, trempée au respect de l’autre et au creuset de la courtoisie et de la magnanimité. Elle m’incline à présenter des félicitations aux vainqueurs de ces joutes et même à ceux qui ont bénéficié de la faveur des consuls. De quelles allégeances et concessions inavouées n’a-t-on pas payé cette sollicitude galopante, entêtée et dévastatrice ! Ne faut-il pas s’attendre à boire jusqu’à la lie la coupe empoisonnée des injonctions et des humiliations !
Je plains certains de mes coreligionnaires de la plateforme INITE qui, comme les fils du patriarche Jacob, ont vendu leur frère Joseph, sans l’intuition que ce dernier pouvait –- allait– devenir ministre du pharaon d’Egypte. Dans leur hâte de me livrer afin d’apaiser les impatiences des orfèvres probablement détenteurs de quelque pièce de leur coffret à bijoux, ils ne se sont pas donné le temps de relire la loi électorale qui ne reconnaît pas à un parti le droit de « désister » son candidat, ni à celui-ci d’outrepasser le délai prescrit (article 104).
Je sais que vous souffrez de ces résultats, synonymes en quelque sorte de prime à la violence. Ne vous abimez pas dans la mélancolie du vaincu ou du sacrifié : vous êtes de la race des conquérants. Notre triomphe viendra tard, mais il viendra quand même. Regardez vers le soleil, le front haut, l’âme altière et préparez-vous pour les batailles futures où la victime sera réhabilitée et le juste glorifié. Courage, fils et filles de Dessalines : la nuit la plus noire annonce l’aurore radieuse.
Un militant ne perd jamais la guerre ; il perd des batailles, mais s’il garde ses convictions, elles en sortent enrichies et renforcées.
samedi 22 janvier 2011
Ripailles de ripoux
Les journalistes ont souvent tendance à exagérer les choses mais je trouve que ce récit donne une bonne idée de la vie « trépidante » de cette ville. Vous comprendre pourquoi je ne me précipite pas tous les week-end là-bas…
En 2008, à Port-de-Paix, des policiers et des magistrats tombent sur le magot d'un gros bonnet de la drogue et se servent, très largement. Le scandale court toujours.
Port-de-Paix, ville d'Haïti d'environ 120 000 habitants, et ses plages blanches comme du sucre (sous les fatras, je veux bien croire que les plages soient blanches), est le lieu de tous les trucages, de tous les escamotages, de tous les trafics et de toutes les misères. Il y a un maire fantôme qui est plus souvent à Miami qu'en mairie, deux bordels (seulement ?), cinq dancings et trois hôtels gardés par des hommes armés d'un Remington calibre 12. Au port, la douane ferme à 16 heures et rouvre à 10 heures le lendemain. En face, sur l'île de la Tortue, «trois flics sur un hamac», précise, vachard, un observateur de la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti.
La Tortue est sous la coupe d'un type du nom d'Alceres Jean. Un promoteur immobilier. Ça, c'est pour la façade. Le bonhomme, recherché pour trafic de drogue, va et vient en toute impunité. Entre Port-de-Paix et l'île un bras de mer avec, posé au milieu, un bateau des gardes-côtes américains. Autant dire que Port-de-Paix est une ville où l'Etat haïtien est depuis longtemps tombé en poudre sèche. Aujourd'hui, le taux de mortalité dû au choléra est de deux pour mille habitants dans la région. Le mois dernier, un bateau de pêche a coulé en pleine nuit avec vingt-deux clandestins. «Comptez 45 dollars sur ces bateaux pour un voyage vers une mort certaine», assure le pasteur évangéliste Tony Vernio.
Le mercredi 12 novembre 2008, sur les coups de 16 heures, à quatre kilomètres à la sortie de Port-de-Paix, quand on prend plein est en longeant la mer et les chalutiers échoués, au lieu-dit Lavaud, sur une colline entourée de bananeraies qui surplombe l'île de la Tortue distante de 7 milles, s'est déroulé un tour de magie blanche mais qui n'a rien à voir avec les philtres vaudou.
Sur dénonciation du trafiquant de cocaïne Mackendy contre promesse de libération, dix-huit policiers et huit magistrats, dont le substitut du procureur René Moïse, pénètrent dans une maisonnette en parpaings attenante à une sorte de petit «Trianon» en béton armé. Elle appartient à Marc Frédéric, l'oncle d'un des plus grands bonnets de la drogue d'Haïti : Alain Désir. Le Trianon, lui, a été érigé par Désir. Ce dernier, «qui a fait toute sa carrière de trafiquant au Bahamas», selon le nouveau président du tribunal de Port-de-Paix, est revenu au pays pour se mettre à l'ombre. Les autorités bahamiennes ont délivré un mandat d'arrêt.
Désir a 32 ans, petit, maigrichon. Il ne parle qu'anglais et créole. Il a été exfiltré à Miami deux jours plus tôt, de nuit, par la Drug Enforcement Administration, sous l'autorité de la brigade des stupéfiants. Des coups de feu sont échangés entre les hommes de la police nationale (PNH) et ceux de Désir qui prennent la fuite devant le nombre. C'est ici que commence l'histoire du «trésor des boucaniers», selon l'expression de Vinx Etienne, le juge chargé de l'instruction de cette affaire qui agite toujours Port-de-Paix deux ans après les faits. La maisonnette est passée au peigne fin. A petits coups de marteau, un policier sonde les murs. Rien. Puis c'est au tour de la dalle en béton. Le policier lâche le marteau, se saisit d'une masse et frappe le carrelage qui s'étoile. A travers les fers à béton, les policiers distinguent le magot d'Alain Désir, blanchisseur «des mafias, surtout mexicaines», selon les flics dominicains qui le recherchent aussi. Les mains plongent frénétiquement dans ce qui est aujourd'hui une fosse d'aisance, au risque de s'ouvrir les bras par les fers à vif.
Et là c'est «le paradis sur terre», a confié un des flics corrompus qui a croisé, il y a deux semaines, un de ses collègues en poste au commissariat de Port-de-Paix. On hisse dans les cris de joie, mais avec peine, un coffre-fort de 40 kilos. Puis deux valises. Enfin plutôt deux malles, selon un témoin. Des boîtes à chaussures bourrées de coupures de 100 dollars. Des dizaines de liasses de 15 000 dollars serrées par des élastiques. Des sacs de sport. Les flics sont comme dingues. Et se servent en se bourrant les poches, le pantalon et la chemise au point de faire sauter les boutons. Ils en mettent aussi dans les chaussettes.
Le pillage dure, selon les témoins, «vingt-cinq minutes». Tout le quartier accourt et regarde interdit la force publique se goinfrer du pognon de «monsieur Alain», un homme «de bien», comme l'indique un agriculteur dont l'épouse «sortie de couches» fut sauvée par «le médecin payé par Alain». Les policiers et magistrats remontent ensuite dans les voitures, la démarche entravée par les liasses qui débordent des pantalons, les poitrines gonflées de billets. Pour le sénateur Youri Latortue, qui a présidé la Commission justice et sécurité au Sénat, «il s'agit du scandale le plus honteux de ces dernières années qui a terni l'image du pays».
La nuit va tomber d'une minute à l'autre. Le cortège de pillards saute sur la piste, sirènes hurlantes, au milieu des chiens errants et de fillettes en uniformes qui rentrent de l'école, frôle les urinoirs en éclaboussant d'eau croupie les vendeuses de goyaves. Deux ans plus tard, sur le lieu du crime, il y a des affiches électorales défraîchies, des peintures murales invitant à une soirée dansante et des urinoirs débordants. Et toujours les vendeuses de goyaves.
Il est un peu plus de 18 heures ce 12 novembre 2008 quand les policiers et magistrats en nage regagnent le commissariat. Les flics, bretelles sur les reins, repoussent la paperasse sur les tables en écartant les avant-bras et y posent les sacs de pognon. Ce n'est plus le commissariat déglingué : c'est le sous-sol en acier poli de la Chase Manhattan Bank. Le partage peut commencer. Aux secrétaires maîtresses 1 500 dollars. Aux greffiers félons ? La même somme. Au planton ? Allez, 1000. Et l'enveloppe pour le sénateur du coin qui nous couvre ? 25 000 dollars ça devrait faire l'affaire, non ? Le substitut du procureur Moïse téléphone à son supérieur le procureur Balthazar, celui qui a signé la fausse perquisition, mais curieusement absent pour affaires... à Miami ce jour-là. Les deux hommes s'entendent pour remettre aux autorités la somme de 510 000 dollars, résultat de la descente chez Désir. Puis il faut accorder les violons. Une version unique doit être donnée car la rumeur du partage du butin va, demain, faire le tour de la ville. D'abord, personne n'a rien touché. Ensuite, on n'a trouvé que 510 000 dollars. Pour finir, le premier qui parle est mort.
Mais quand Moïse rentre chez lui, il pique une colère terrible. D'abord son chauffeur Edmond Brutus a disparu. Où est encore passé ce con ? se dit-il. Moïse lui avait pourtant confié deux valisettes sorties en douce de la perquisition chez Alain Désir. Charge à Brutus de les remettre en mains propres à son épouse, «madame René». Brutus s'est exécuté mais n'a remis... qu'une valise. Moïse s'est fait doubler comme un bleu.
Le Brutus en question a, le lendemain du pillage, acheté un pick-up Toyota à 25 000 dollars et contacté un entrepreneur. Il compte faire construire un palais dans la commune de Jean-Rabel à 30 km de Port-de-Paix. En effet, si Port-de-Paix peut ressembler à un petit Palerme tropical, Jean-Rabel c'est un peu Corleone. Un fois sorti de terre, Brutus l'a revendu et s'est envolé. Faut dire que le palais du chauffeur était devenu l'objet de visites et des sarcasmes de la population. Le chauffeur du procureur Balthazar, qui avait lui aussi doublé son patron en volant le pognon volé, s'est également fait édifier un palais. Ces maisons sont aujourd'hui à l'abandon. Les propriétaires évidemment en fuite.
Seule la piétaille sera jugée. Trois magistrats et quatre policiers sont dans la nature. Ces derniers «avec leur arme de service», comme l'indique l'inspecteur Robert (nom modifié à la demande de ce dernier, ndlr), entouré de deux filles, une main sur l'épaule de chacune. La balance Mackendy qui a vendu Désir n'a pas beaucoup profité de sa liberté puisque la PNH, qui a été en partie purgée de ses brebis galeuses, l'a ramassé dernièrement ivre mort dans un bordel de la ville jetant des billets de 100 dollars sur la piste de danse.
Désir, lui, a été condamné à quinze ans à Miami. Sa tante Lisa Joseph prie tous les jours «la Vierge» en montrant son chapelet : «On savait qu'il était dans les affaires mais on ne savait pas lesquelles», dit-elle en créole. Elle occupe le petit Trianon de son neveu dont les scellés ont été brisés. Pour la police dominicaine, dont Libération s'est procuré le rapport, Désir était un as du blanchiment d'argent. Deux ans après les faits, «le procès est en appel, alors que beaucoup des protagonistes de l'affaire, magistrats et policiers, sont en fuite», explique le juge Etienne. Et pour cause : ceux qui sont tombés sont vite ressortis, puisque le pénitencier de Port-au-Prince où ils étaient en préventive a été foutu par terre par le séisme. De sorte que tout ce beau monde est en fuite.
Le scandale de Lavaud, tel que l'a appelé la presse haïtienne, «a terni l'image de la magistrature de notre ville». C'est peu de le dire. Déjà que Port-de-Paix était une «zone de stockage de la cocaïne en partance vers les Etats-Unis», selon la commission parlementaire qui a rendu un rapport accablant sur le fonctionnement de la justice.
Le doyen des juges du tribunal Ronel Gélin qui, le premier, a dénoncé l'affaire à la presse a été suspendu par le ministère de la Justice. Il a refusé les 10 000 dollars du procureur Moïse pour acheter son silence. Ronel Gélin est aujourd'hui directeur d'un lycée catholique de Port-de-Paix. Pour l'ancien magistrat, «tous les plus grands bénéficiaires de ce scandale sont à Port-au-Prince». Un rapport de la police dominicaine évoque un montant de «510 000 dollars remis aux autorités suite à ce pillage. Ce n'est pas le centième de la somme trouvée». Alors combien au juste dans la cachette ? Dix ? Quinze ? Vingt millions ? Plus ?
L'oncle de Désir a été révolvérisé. Sorti miraculeusement d'affaire quelques jours plus tard, il est mort la veille de quitter l'hôpital. Un inspecteur intègre, qui s'apprêtait à dénoncer la corruption généralisée au commissariat de Port-de-Paix, a été «suicidé». «Il voulait parler. On l'a forcé à boire l'acide de batterie», raconte l'inspecteur Robert. Un des chauffeurs d'un magistrat a été retrouvé battu à mort.
Alain Désir est vraiment regretté en ville. Surtout le vendredi. Ce jour-là, il recevait dans son petit Trianon magistrats, flics, notables et journalistes. Chacun repartait avec son enveloppe.
Le juge Etienne lève les yeux au ciel : «Comment lutter contre la corruption quand circulent ici les plus grandes quantités de drogue en direction des Etats-Unis ?» L'an passé, la police de Port-de-Paix a saisi 33 kilos de cocaïne. C'est même pas le poids d'un sac de ciment. Mais 33, c'est aussi le chiffre en millions de dollars du trésor des Caraïbes d'Alain Désir. Enfin, c'est ce qui se dit à Port-de-Paix. Désir, lui, n'est pas tellement pressé de sortir. On peut le comprendre : les Mexicains n'aiment pas se faire rouler dans la farine.
Dessin Mezzo, Liberation.fr
jeudi 20 janvier 2011
Pendant ce temps là
3 mois après le début de l’épidémie, le choléra a fait 3838 morts et 188267 malades, ce qui nous rapproche lentement mais sûrement des 200000. La mortalité a fortement baissé mais malheureusement le pic n’est toujours pas atteint selon l’OMS.
mardi 18 janvier 2011
"Il" est revenu
Le programme de ce dimanche 16 janvier 2011 s’annonçait pleins de promesses après une semaine psychologiquement difficile : le DEMENS, décrassage mensuel scout, un pique-nique et le spectacle d’Haïti en Scène monté avec plusieurs centaines d’enfants des camps, au stade national. La cité de Lumières qui souffre mais se relève sans cesse, une allégorie à peine caché d’un petit pays caribéen.
Vers 17h (un horaire décidemment bien sinistre), un sms d’un ami de la TNH : « Duvalier va atterir à PAP ce soir ». Sur le coup nous pensons à une blague puis la rumeur se confirme. Autour de nous, les BlackBerry s’affolent. Les personnalités s’éclipsent vite. Puis un sms un peu alarmant sur des manifestations nous obligent aussi à quitter ce spectacle. Notre retour se fera finalement sans encombre au milieu des drapeaux rasta ( ???).
« Cà » est donc arrivé, blanchi après 25 ans sans Tropiques et amaigri après 25 de privation de griot et autres fritailles. Alors que le monde se remettait à peine du départ de Ben Ali, Haïti accueille son fameux dictateur après 25 d’exil et avec un passeport diplomatique haïtien, s’il vous plait. Comment le gouvernement peut-il prétendre qu’il n’était pas au courant.
En ce dimanche soir où des manifestations de joies accueillent la nouvelle de celui sous qui « le pays marchait », je ne peux m’empêche de penser à Bob, emprisonné et torturé sous Baby Doc. Car on a beau répéter pour minimiser la chose que c’est un haïtien comme les autres, « il » n’est pas n’importe quel haïtien !
« Il » aurait embrassé le sol en arrivant comme le Saint Père et a proclamé être venu pour aider le pays après les images insoutenables projetaient en France à l’occasion de la commémoration…Enfin c’est ce que prétend sa nouvelle femme/compagne, botoxée de tous les côtés. On se rassure un peu en se répétant qu’il a un billet retour pour le jeudi suivant.
Evidemment, on parle aussi du retour d’Aristide. Il a en effet demandé un passeport mais il lui a été refusé, une autre fois peut-être…A moins que Préval préfère voir ressurgir baby doc que son ancien mentor qui l’a installé sur son trône doré…
« Il » promet une conférence de presse le lundi, qu’il annule (pas assez de places pour accueillir tout le monde).
Mardi, des rumeurs d’arrestations circulent : Duvalier est arrêté… pour ses crimes ? Les dizaines de milliers de victimes sous son règne ? Non : détournement de fonds et association de malfaiteurs. Des charges bien maigres et sûrement caduques vu le délia de prescription mais effectivement peut être plus faciles à prouver que pour les crimes dont il pourra toujours dire qu’il ne savait rien. « Il » sera relâché au bout de 6 heures.
Mercredi, nouveau rebondissement, 4 personnalités dont la veuve de Jean Dominique, porte plainte pour crime contre l’humanité à l’encontre de Duvalier. Et d’autres personnes s’apprêteraient à le faire. Malheureusement cette notion n’existe pas dans la législation haïtienne ; de là à penser à la justice internationale…
Et Duvalier d’indiquer qu’il est revenu pour de bon et qu’il veut même se présenter à la présidentielle !!!!!!!!!!!!!!! Le pire c’est que vu sa popularité parmi la majorité de la population âgée de 30 ans et moi, il aurait toutes ses chances…
Entre-temps Duvalier dément les propos de son soi-disant porte-parole : non il ne veut pas être président. Après tout il a raison, pour progresser après président, il faut devenir au moins empereur !
Pendant ce temps après les fuites sur une version préliminaire des experts sur le scrutin du premier tour et les recommandations d’écarter Jude Célestin, le conseil électoral aurait décider de ne pas en tenir en compte et de ne pas changer les résultats… Alors même que l’ambassadeur américain a dit que les conclusions du rapport n’étaient pas négociables.
Et donc oui çà y est c’est confirmes, le CEP a fait un énorme fuck à la communauté internationale et a décidé de ne pas changer les résultats du premier tour. Les candidats peuvent encore venir pleurnicher jusqu’au 24 janvier.
Je crois qu’il est grand temps que je quitte ce bourbier…
mardi 11 janvier 2011
Le compte à rebours
Il a fallu attendre le 6 janvier pour connaitre un tant soit peut le programme officiel des commémorations du 12 janvier mais dans ma tête le compte à rebours avait déjà commencé. Et ce, par les galettes que nous avons partagé comme la dernière que j’ai partagée avec Jean-Christophe quelques jours avant le séisme.
Beaucoup de messes privées ou générales, des lectures de textes. Dans ces moments là on se raccroche toujours aux mots qu’on su trouver les écrivains haïtiens.
Pour ma part, je garde cette phrase de Sophie Boutaud de la Combe : « je suis plus dans ce que les autres ont perdu que dans ce que j’ai ».
Il y aura bien sûr la minute de silence à l’heure H malgré les médias qui voudraient avoir des directs à ce moment là.
Ce sera le lancement du programme de reconstruction à Fort National. Le marché de fer vient d’être inauguré après sa réhabilitation (commencée depuis 2008 après un incendie).
Ici, on ne parle que des ONG qui n’ont rien fait en un an. Les plus grandes font des bilans publics de l’utilisation des fonds. Les autres se taisent espérant se fondre dans la masse. Il ne fait pas trop bon bosser pour une ONG ces jours-ci.
On parle aussi de Dieu, puisqu’apparemment c’est tout ce qu’il reste aux gens dans les camps.
Malheureusement on voit ressurgir les vieux démons qui se sont entendre après le séisme et qui veulent nous convaincre qu'Haïti est maudite. Et puis la fin du monde en 2012 c'est trop tard. Alors certains ont décidé de l'avancer et de prévenir les brebis égarées. Comme le dit le panneau géant ci-dessous, Jésus viendra prendre ceux qu'il a choisi le 21 mai car le 21 octobre c'est la fin du monde.
Mon Dieu mais que faire pour faire partie du Jesus Air qui décollera le 21 (soit une semaine après la fin supposée du mandat de Préval, hum hum c'est louche tout çà)????
Se tourner vers Dieu, pardi!
C'est pour cela que le week end dernier, Franklin Graham, directeur de Samaritan's purse et qui avait proclamé haut et fort qu'Haïti était maudite, a organisé une séance géante d'évangélisation retransmise sur plusieurs chaines télé. Ici on appelle çà une croisade....Tels les preux chevaliers qui défendaient la Terre Sainte... ou pillaient selon les versions.
Il était même prévu une croisade spéciale pour les enfants. A ce propos, je vous conseille de regarder Jesus Camp sur les méthodes et discours d'évangélisation sur les gamins aux USA. Tiens c'est étrange, La femme pasteur disait vouloir former le nouvelle armée de Dieu, les nouveaux Croisés...
Visuellement, c'est le seul message que les Haïtiens ont reçu à quelques jours de la commémoration!
Sur la même longueur d'onde, le Carnaval pourrait ne pas avoir lieu... triste début d'année 2011 en Haïti.
Comme il aurait été un sacrilège de vomir nos galettes, je me suis retenue mais il s'en est failli de peu...
PS: Merci Doudou pour les photos
jeudi 9 décembre 2010
Le dindon de la farce
Bon je sais c'est pas trop dans l'ordre chronologique:
Le scrutin de dimanche était un grand rendez-vous. La communauté internationale en était fière : imaginez on compte sur les doigts d’une main (de lépreux), le nombre de fois où un président a passé le pouvoir à un autre démocratiquement élu. Beaucoup voulaient retarder ces élections : trop tôt après le 12 janvier (beaucoup de bureaux de vote étaient dans les écoles) ; risque d’explosion gigantissime de choléra. Pour une fois, la communauté internationale a gagné la manche. Euh … attendez, non en fait la communauté internationale décide toujours de tout en Haïti. Le top départ était lancé à 6h (on se lève tôt en Haïti) mais comme rien ne sert de courir, il faut arriver à point, beaucoup de bureaux de vote n’ont ouvert que vers midi. Deuxième problème, nombreux sont ceux qui n’avaient pas obtenus leur carte d’électeur. Ceux qui avaient leur carte repartaient souvent brocouille car leur nom n’était finalement pas sur la liste du bureau de vote dans lequel ils devaient voter. Petit blague, cela est même arrivé au candidat du parti au pouvoir, Jude Célestin qui s’est pointé là où un de ses homonymes devaient voter mais pas lui. Sauf que lui, contrairement aux autres quidams, a obtenu un PV pour voter là où il s’était pointé.
Dès la mi-journée, la plupart des candidats de l’opposition parlent de fraudes massives : avant de rentrer dans le bureau, il faut annoncer pour qui on va voter et si ce n’ est pas pour INITE (parti de Préval), on se fait refouler. Des partisans bourrent des urnes de bulletins pré-remplis en faveur d’INITE… A 16h, 12 candidats demandent à annuler les élections. Cette demande n’a rien d’officielle d’après le conseil électoral qui lui annoncé à la fin de la journée que c’est un succès et le vote est valide sauf dans 53 bureaux.
Là je dois vous faire partager la perle d’un membre du comité électoral : Nous n'avions pas la prétention d'organiser des élections sans irrégularités. Ce sont des irrégularités qui sont dues aux faiblesses des structures de l'Etat" haïtien. Je pense pour ma part qu’il y a irrégularités parce que cela arrange bien l’Etat.
Les bulletins comment à être dépouillés le soir même mais les résultats ne seront connus officiellement que la semaine d’après. Sauf qu’au fir et à mesure, des pourcentages partiels commencent à sortir. Et ils sont assez favorables à deux des principaux candidats, qui seraient même devant le candidat d’INITE : Martelly (le chanteur de Sweet Micky) et Mirlande Manigat. Du coup, ces deux candidats se désolidarisent des 12 et ne signent pas la demande d’annulation. Ils se disent prêts à participer au deuxième tour. L’espoir de faire annuler cette vaste blague diminue : seul l’esprit groupé pouvait permettre une remise en cause. Le vent commence à tourner : le porte parole d’INITE annonce que son parti est prêt à reconnaître la défaite et participer à un gouvernement de coalition (çà sentirait pas les accords secrets entre opposition et INITE, çà ?)…
A ce moment là, il faut revenir sur les cris à la fraude lancés par Martelly et Manigat. Soit INITE était vraiment derrière et le bourrage d’urne n’a pas été très efficace ; soit Manigat et Martelly ont aussi profité de fraudes en faisant déguiser leurs partisans en partisans d’INITE.
Quand va-t-on arrêter de se foutre de la gueule de ce pays ?
mercredi 8 décembre 2010
Sons et lumières
Non ce n'est pas encore Noel ou la nouvelle année.
Nous sommes le mardi 7 décembre, 22h00. Les résultats préliminaires des élections viennent d'être publiés.
Après plus de 2 heures de retard, le porte-parole du conseil électoral annonce d'abord les résultats pour les députés et sénateurs puis vient enfin les résultats des présidentielles.
Déjà quelques heures que la tension est palpable, tout le monde a voulu rentrer chez lui avant 18h, comme si les résultats avaient pû être annoncés à l'heure...Des blocus monstres. Depuis 18h, nous sommes tous collés à nos postes de radio pour attendre quoi? Une révélation? Malgré les papiers dans la presse internationale, chacun sait au final que les résultats sont en contradictions avec ce qui a été annoncé.
les rumeurs courent depuis une semaine. c'est le problème à devoir attendre des résultats (préliminaires), çà laisse le temps de lancer des rumeurs.
C'est comme assisté à une pièce racinienne:
acte I: cris à la fraude
acte II: les candidats les mieux placés acceptent finalement de ne pas demander l'annulation. Accepter de rentrer dans ce système pourvu qu'on a des chances de gagner...
acte III: le candidat adoubé parle enfin à la presse et rappelle qu'un candidat n'a pas le droit de manifester avant la publication des résultats. Aucune importance pour les candidats à 1% mais cela s'adresse aussi à quelqu'un de bien placé. En gros, créer la peur
acte IV: lever de rideau; le candidat du parti présidentiel passe au deuxième tour avec seulement 6000 voix d'avance sur le candidat populaire. Surtout quand on sait que seul 22% de la population a voté. Etonnant, non?
5500 observateurs nationaux avaient pourtant donné une idée différente des deux candidats qui seraient au deuxième tour. 5500 observateurs dans le pays depuis plusieurs mois, payés une fortune et qui n'ont surveillé le dépouillement que de 1600 bureaux de vote. Avec un peu de chances les seuls 1600 bureaux de vote où il n'y a pas eu de fraudes (ben oui vu qu'ils étaient là, on a joué la comédie pour leur faire croire que tout allait bien)
Il est maintenant 21h30-22h et les coups de feu commencent à être tirés. Des barricades sont installées un peu partout, on brûle des pneus, on arrache les affiches du parti présidentiel...
La nuit va être longue.
Il est 22h et les radios et télés retournent à leur programme habituel: l'attaché de presse est parti de suite après avoir déblatéré les résultats, les journalistes n'analysent pas les résultats.
Il est 22h et la télévision nationale Haïtienne diffuse un concert de Michèle Torr.